Magnifique portrait de Bob Giraud par Georges Dudognon (chaleureux remerciements à Thierry de Beaumont !)
"Le dix-sept janvier mil neuf cent quatre-vingt dix-sept, à vingt heures et trente minutes, est décédé Robert Paul Giraud, né le 21 novembre 1921 à Nantiat (Haute-Vienne)". C'est précis, mais sec comme un acte de décès. D'ailleurs c'en est un. Nous préférons le titre du Parisien (je me suis permis de le reprendre) qui a l'époque, sous la plume de Nicolas Jaillard et Jacqueline Ury, avait consacré à Bob une belle nécrologie, une des rares qui ne sente pas l'exercice convenu.
"Ne chantez pas la mort, c'est un sujet morbide" disait Ferré. Pour Le Robert, et de toute évidence, la mort est la "cessation définitive de la vie (d'un être vivant)". Ben voyons. Je parle ici du Robert en deux volumes et non du Robert qui titre 12,5° voire 13 !
Ce Robert-là, qui causait le français, était un spécialiste es-parlers de la rue. Il nous enseigne qu'en argomuche mourir se décline entre autres joyeusetés par "clapoter, cronir, crounir, cascader, calancher, crapser, déposer son bilan, défiler la parade, filer son câble, frapper au monument, avaler sa fourchette, fermer son pébroque ou avaler son bulletin de naissance". Et de citer ses collègues Boudard ou Auguste le Breton :
"La vioque qui croquait en solitaire faillit s'étouffer. Le raisin lui grimpa à la face. Belle façon de la glisser, pour un gonze de son âge ! Avaler son bulletin de naissance en lorgnant une si chouette pépée, c'était le rêve !" (Razzia sur la chnouf)
Bref, il y a Le Robert et Robert.
Quand Bob est parti direction le terminus des prétentieux, la presse a nécrologisé d'abondance sans toutefois faire preuve de beaucoup d'imagination : l'Auvergnat de Paris se fendant d'un communiqué à peine aussi consistant que le montant des piges qu'y touchait Bob, L'Huma faisant le minimum syndical, Libé et Le Monde oublieux le premier des nombreux tuyaux et histoires que Bob dans sa générosité divulguait aux comptoirs et le deuxième des faits d'armes d'icelui - il rectifiera sans grande conviction après avoir reçu une lettre du Prix des Quatre jeudis. le "Titi" Claude Dubois a bien sûr salué la mémoire de Bob dans le Figaroscope, mais le seul qui en a vraiment bien parlé est son pote Jean-Pierre Morlon dans un papier aussi sensible que documenté paru dans le Populaire du Centre du 21 janvier 1997. Je n'en cite que la chute : "Le Gavroche de Limoges, devenu roi du comptoir parisien, vient de couper la route du zinc... Allez patron, la démarrante !".
L'exercice nécrologique n'étant pas chose aisée, on ne devrait pas le laisser aux journalistes, sauf quand ils savent écrire. Ce qui est rare. Michel Dalloni quant à lui s'est rendu aux obsèques de Bob et en a retiré une sobre et touchante "chose vue". Ainsi il nous reste une trace de ce que furent les derniers instants de Bob parmi nous, avant qu'il ne soit dispersé aux quatre coins de Paris façon puzzle.
J'en ai trouvé une reproduction dans une collection intitulée "Petite Bibliothèque en mal de Paris". Il s'agit en fait de feuillets A4 imprimés par un libraire parisien dont j'ignore le nom... L'exemplaire que j'ai entre les mains m'a été offert par Pierre Lotrous, ami de longue date de Bob.
Bob Giraud croqué par son ami Jacques Yonnet (dessin aimablement communiqué par l'ami Daniel Colagrossi)
L'article de Dalloni est court, mais en quelques lignes on en sait assez sur Bob pour avoir envie d'y revenir. Du grand art, donc, tout en suggestion. J'en profite donc pour le citer in extenso : "Le soleil était bien là mais il ne faisait tout de même pas très chaud, hier matin, au Père Lachaise (XXème). Un froid sec, à sortir les moufles, sans concession, pour tout dire hivernal. Un temps à ne pas mettre un ami dehors. Qu'importe, ils étaient venus nombreux pour assister aux obsèques de Robert Giraud, écrivain-goûteur-arpenteur de Paris décédé le 17 janvier.
Il y avait là quelque représentants de la République des Lettres et d'autres de la Commune libre de Montmartre. Il y avait aussi une accordéoniste et l'équipe des éditions du Dilettante. Il y avait là encore des maîtres de l'art bistrotier (Jean Navier des "Négociants" et Bernard Pontonnier de "La Courtille", élevés au biberon de la Taverne Henri IV).
Tous réunis sous la voûte du crématorium du grand cimetière, ils ont écouté Le Chant des partisans (Monsieur Bob avait été résistant) et Le Temps des cerises dans leur version Montand, des airs de Ferré sur des vers de Du Bellay et d'Apollinaire puis l'âme des poètes de Trénet avant que javas, valses populaires et musettes tout droit sorties d'un accordéon de circonstance ne viennent réchauffer tout ça.
C'est à deux pas, rue de la Chine, que Marcel Azzola et Didi Duprat , magiciens des bals, rois des guinguettes, virent le jour. C'est ici aussi que la capitale ressemble le plus - c'est-à-dire encore un peu - à ce qu'elle fut autrefois, lorsque Robert Giraud et Robert Doisneau la parcouraient en tout sens, à toute heure (tard à Mouffetard, par exemple) pour en cueillir les secrets.
Si ce Paris-là, ce Paris têtu, ce Paris des ouvriers et des artisans, ce Paris des arrières-cours et des chanteurs de rues, ce Paris des zincs n'est plus, il en reste des souvenirs, des photos et des livres. Ceux de Giraud, ceux de Calet , d'Audiard, de Clébert, de Fargue ou de Fallet en portent témoignage bien mieux qu'aucune opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH).
Enfin, les amis sont sortis du crématorium comme il y étaient entrés : le regard triste et la goutte au nez. A l'invitation du maître de cérémonie, ils se sont rassemblés devant le jardin du Souvenir. Alors, l'employé des pompes funèbres se mit à parcourir à pas comptés la pelouse dudit jardin pour y disperser les cendres de Robert Giraud. Un coup de zeph coquin vint l'aider. Le vent des rues, sans doute."
Je termine cette mise à jour avec Roland Topor, pote de comptoir de Bob dont je vous parlerai prochainement. C'est l'ami Daniel Colagrossi qui m'envoie un dessin de Topor et la légende qui va avec (merci à toi, Daniel !) :
"Pour la mort de Bob, j'avais demandé à Roland qui travaillait à Bruxelles sur sa dernière pièce de théâtre L'Hiver sous la table, de me réaliser un dessin qu'il m'avait ensuite envoyé par fax. Au téléphone, lorsque je lui ai annoncé la disparition de Bob, il avait émit un « comme c'est dommage! » très triste dans la voix. Et puis, trois mois plus tard, il se retirait à son tour."